Murus gallicus

Le rempart de terre, de pierre et de bois de l’âge du Fer

A l’occasion du siège d’Avaricum en 52 av. J. -C., César décrit le type de rempart qui protège les Gaulois de ses assauts  : « voici quelle est à peu près la forme de tous les murs gaulois : des poutres perpendiculaires, se suivant sans interruption sur toute la longueur du mur, sont posées sur le sol à un intervalle uniforme de deux pieds l’une de l’autre. Elles sont reliées les unes aux autres au-dedans et recouvertes d’une grande quantité de terre ; les intervalles dont nous venons de parler sont, sur le devant, garnis de grosses pierres. Ce premier rang ainsi formé et consolidé, on en ajoute un second par-dessus, en gardant toujours le même intervalle, de manière que les poutres ne se touchent point et que chacune repose sur la pierre exactement intercalée entre chaque rang  ; et ainsi de suite : tout l’ouvrage est continu jusqu’à ce que le mur ait atteint la hauteur voulue. Ce genre d’ouvrage, avec l’alternance de ses poutres et de ses pierres, offre un aspect dont la variété n’est pas désagréable à l’œil ; il a surtout de grands avantages pratiques pour la défense des villes, car la pierre défend du feu, et le bois, des ravages du bélier, qui ne peut ni briser ni disjoindre une charpente de poutres, attachées en dedans l’une de l’autre, qui ont d’ordinaire quarante pieds d’un seul tenant » (Guerre des Gaules, VII, 23).

Cette description du murus gallicus par le stratège romain a-t-elle résisté aux coups de truelle des archéologues ?

L’intérêt pour la fouille des remparts de l’âge du Fer a commencé dès le milieu du XIXe siècle et ne s’est jamais ralenti depuis lors.

 

A Bibracte

Le mont Beuvray a été définitivement identifié comme étant le site de Bibracte, l’ancienne capitale des Éduens, lorsque Jacques-Gabriel Bulliot, en 1867, a reconnu une fortification conforme à la description de César dans la grande levée de terre longue de 5,2 km qui ceinture le sommet du mont.

Dans les années 1990, des prospections ont mis en évidence une deuxième fortification, encore bien visible dans le relief, sur les pentes du mont Beuvray. Comme la précédente, elle est marquée par deux terrasses parallèles qui signalent l’emplacement du rempart et du fossé creusé au pied du mur. Plus longue que celle reconnue au XIXe s., avec un périmètre de 7 km, elle enserre une surface de 200 ha. Elle apparaît comme « extérieure » à la précédente qui de ce fait est qualifiée « d’interne ».

Les fouilles récentes sur la fortification externe montrent que le mode de construction mis en œuvre est aussi du type murus gallicus.

Les résultats les plus importants concernent les portes qui permettaient de franchir les remparts et qui étaient en relation avec le réseau de routes antiques. Quinze portes ont été identifiées, sept sur le rempart interne, huit sur le rempart externe.

A la Porte du Rebout, les recherches ont permis l’étude des deux bastions qui encadrent cette entrée monumentale, large de près de 20 m. A l’emplacement de chaque bastion, quatre remparts se sont succédés à la fin de l’âge du Fer. S’y ajoute une palissade plus ancienne sous le bastion nord. Les trois premiers états sont de type murus gallicus avec de grandes fiches de fer ; le dernier est constitué d’un empierrement massif recouvrant les murs plus anciens. Leur construction s’échelonne entre la fin du IIe s. av. J.-C. et la fin du Ier s. av. J.-C. Ces reconstructions rapides montrent la fragilité de l’architecture du murus gallicus et l’énergie déployée pour le conserver en état. La Porte du Rebout est, de loin, la plus monumentale du monde celtique. Ses dimensions se retrouvent dans les portes d’Augustodunum, ce qui n’est probablement pas un hasard.

Sur le côté méridional de l’oppidum, sous le sommet du Porrey, au point de tangence des deux fortifications, une fouille a permis de dégager une poterne. Large de 2,7 m, elle était fermée par une porte en bois à deux battants renforcés de crampons de fer. Comme d’autres portes de la ville, elle fut condamnée lors de la construction du rempart « interne ».

Sur le versant sud, les Grandes Portes sont «  à ailes rentrantes » symétriques ; le mur des bastions y est encore conservé sur plusieurs mètres de hauteur du fait de la condamnation de cette entrée dans l’antiquité. Sur le versant ouest, sous la pierre de la Wivre, une porte en chicane obstruée par d’une levée de terre est encore bien visible dans la topographie. Ces fermetures soulignent des modifications importantes qu’aurait connues le réseau de voies d’accès au cours de la vie de l’oppidum pour des raisons économiques ou stratégiques.

A la Fontaine de l’Écluse, une fouille menée lors de l’aménagement du captage qui alimente en eau le musée, a mis au jour un passage aménagé dans le rempart, matérialisé par un niveau empierré laissant passer les filets d’eau d’une source proche et une construction robuste en poutres de bois parfaitement conservées dans ce milieu humide dont la fonction reste à interpréter.

Si de grands progrès ont donc été faits sur la connaissance des remparts de type murus gallicus de la période laténienne, d’autres remparts, appartenant peut-être à d’autres périodes d’occupation, sont encore à explorer sur le mont Beuvray, notamment sur le sommet de l’éminence du Porrey.

De la France au sud de l’Allemagne, de la Belgique à l’Espagne, de la Grande-Bretagne à la Hongrie, les archéologues ont toujours porté une attention particulière aux fortifications de l’Europe celtique. Les fouilles ne cessent d’apporter des éléments nouveaux pour la connaissance de l’architecture et de l’évolution des fortifications.

La typologie classique des remparts de l’âge du Fer est basée sur la coexistence de deux grands types architecturaux : celui du murus gallicus « un rempart de terre armée d’un poutrage interne horizontal à parement externe de pierres » et celle d’un rempart « de terre armée d’un poutrage horizontal  à poteaux frontaux verticaux ». Cette dichotomie est, en fait, battue en brèche par les recherches récentes ; l’architecture des remparts celtiques est plus variée et plus complexe : talus massif de terre, massifs de poutres, murs de pierres sèches, massifs de terre armée de poutrage horizontal ou oblique, assemblé en caissons… Les parements participent à la diversité des types : ils se déclinent en palissade de bois et poteaux verticaux, en parement de pierres à poteaux frontaux verticaux, en parement de pierres à poutres horizontales frontales ; les pierres de façade, blocs grossièrement taillés, beaux blocs équarris, dalles… contribuent à la variété de leur apparence, largement tributaire de la nature des ressources locales (la rhyolite du mont Beuvray se taillant nettement moins bien que le calcaire ou le grès).

Les portes qui s’ouvrent dans les remparts ont aussi leurs particularités, qu’elles soient « à ailes rentrantes » ou « en chicane », avec un nombre de vantaux adapté à leur largeur de portes. La superstructure qui couronnait le dispositif d’entrée contribuait sans doute à affirmer le caractère de chaque place forte. La diversité des types de remparts de l’âge du Fer devait aussi être enrichie par la présence de tours (connue dans un seul cas mais sans doute bien plus fréquente).

1--typo-rempartsCes architectures qui mettent en œuvre la terre, le bois et la pierre affichent le souci des constructeurs d’adapter la conception des ouvrages pour répondre à la fois aux impératifs de stabilité et à la facilité de mise en œuvre, ceci dans des contextes géographiques variés (éperon rocheux, bord de plateau, méandre de rivière, plaine alluviale, colline…). Si les remparts répondent à une fonction défensive (et dissuasive), ils participent également au prestige des lieux de vie qu’ils enserrent. Il est significatif de ce point de vue que le murus gallicus, habituellement associé aux très grands oppida, enserre parfois des résidences aristocratiques bien plus exigües (exemples en Berry et en Limousin). Sa technique est même utilisée dans un cas (en Côte-d’Or) pour l’édification d’un monument funéraire.  Ce mode de construction remplit alors une fonction ostentatoire et symbolique.

Au-delà du point de vue architectural, les recherches sur les remparts ont élargi le champ chronologique des fortifications celtiques. Les datations ne se limitent pas à la fin du IIe siècle ou au début du Ier siècle avant notre ère, période pendant laquelle se développent dans toute l’Europe les oppida (villes fortifiées). La fin du premier âge du Fer, autre période importante de fortification, est aussi un moment important d’innovation dans le domaine de l’architecture militaire. C’est ainsi à cette époque que se stabilise le modèle du mur à poteaux insérés dans le parement de pierre.

Comme Stephan Fichtl le propose, les fortifications et les portes monumentales dont se dotent quelques villes romaines nouvellement fondées autour du changement d’ère (comme à Autun), ne seraient-elles pas « les derniers soubresauts des vieux oppida ou d’agglomérations plus modestes cherchant à se rattacher à ce qui avait toujours défini les villes gauloises, tant pour les archéologues que sans doute aussi pour les Gaulois eux-mêmes : le rempart ».